Je n'ai rien à poster...à ma grande honte. Mais pour ma défense je dois dire que c'est en partie à cause du concours du Littérarium qui, approchant, m'empêche de me concentrer sur autre chose.
Donc, en attendant une reprise de la production je vous poste le début de ce que j'avais fait l'an dernier... (c'était plus simple, limité à 90 000 signes et non 45 000!).
En attendant je suis toujours heureuses de toutes les réponses que vous pouvez fournir à la question "qu'aimeriez-vous voir dans un conte?"... Même ceux ayant déjà répondu!
Gris
Au
matin, la lumière rampait dans la chambre d'Éloïse. En traversant
le brouillard éternel, l'éclat matinal prenait une couleur étrange,
et pénétrait lentement dans les pièces, comme un envahisseur.
Lorsqu'elle
était petite, Éloïse détestait cette lumière, et chaque matin
elle ne pouvait s'empêcher de se lever d'un bond et de se précipiter
voir si la fenêtre était encore fermée et si ce n'était pas le
brouillard qui venait l'étouffer dans son sommeil.
Maintenant
la jeune femme se réveille au premier rayon et observe la
progression du jour sur le carrelage sale. Mais elle se lève
toujours juste avant que la lumière ne l'atteigne. Comme d'habitude,
elle se lève d'un mouvement sec et personne ne pourrait croire que
cette femme sort juste du sommeil. Elle semble déjà inébranlable
et son visage n'exprime pas le moindre sentiment.
Alors
qu'elle ressort de sa douche, on toque à sa porte. C'est dans le
pantalon noir de son uniforme, poitrine nue, qu'elle va ouvrir. Le
larbin du colonel, un freluquet au visage fade, issu d'une famille
riche déglutit difficilement au moment où elle ouvre la porte d'un
coup sec, et une seconde fois en la détaillant.
«
Le...Le colonel souhaite vous voir... Immédiatement.
-Bien
»
Porte
fermée. Derrière, le messager sourit nerveusement.
«
Espèce de minable » lance Éloïse au mur de sa chambre, alors
qu'elle lace ses bottes. Comme chaque jour, elle s'immobilise devant
son armoire, et se contemple dans son morceau de glace fêlée. Elle
passe la main sur ses cheveux ras, qui font comme une couche de
teinture noire sur son crâne. Il est vrai qu'avec ses vêtements
noir, sa peau maladivement blanches et sa chevelure quasiment
inexistante, elle est effrayante. Elle s'arme méticuleusement et
ajuste le boîtier du Réseau, dont elle vérifie avec soin toutes
les sorties. Puis elle sort délicatement son manteau, noir lui
aussi, de son armoire. C'est le premier geste doux qu'elle fait de la
matinée. Elle l'enfile, et ferme posément les deux rangées de
boutons qui le parsèment, jusqu'aux hanches. Là, les pans s'évasent
jusqu'au chevilles. Elle enfile cet uniforme comme on se harnacherait
dans une armure. Ou comme on fermerait la porte d'une prison. Elle
l'enfile et se fait Ombre à nouveau. En se dévisageant une deuxième
fois dans le miroir, elle hoche la tête. Elle n'hésite nullement en
arpentant le couloir rassemblant les loges de ses pairs puis
lorsqu'elle sort de ses misérables couloirs à la lumière
hésitante, d'une couleur maladive, pour rejoindre les luxueux
appartements des gradés.
Mais
devant la magnifique porte du colonel, elle s'arrête un instant, son
poing qui allait frapper à la porte encore en l'air. Des rires
s'échappent du bureau. Elle se reprend enfin et actionne le
heurtoir. C'est la voix calme de son gradé qui lui répond.
«
Éloïse, rentrez donc. Nous vous attendions. »
En
poussant la porte, si elle voit bien le colonel, maigre et sec, assis
bien droit derrière son bureau, elle découvre effectivement une
deuxième personne. L'homme s'est laissé tombé avec élégance dans
un fauteuil, et lui adresse un sourire charmeur. Elle serre les dents
un instant, et sans lui adresser un regard, avance à grand pas vers
le bureau et s'immobilise derrière le deuxième fauteuil de la
pièce.
«
Vous m'avez fait demander mon colonel?
-En
effet Éloïse. Je vous présente le partenaire qui vous a été
attribué, Nicolas. »
Elle
se détourne enfin, et daigne détailler le jeune homme qui n'a cessé
de la fixer. Il lui sourit nonchalamment, sans rectifier sa position
le moins du monde. Les cheveux blonds ramenés en catogan sur sa
nuque, l'uniforme noir recouvert de la courte veste rouge de sa
division, l'épée dorée au côté, il est l'opposé de la jeune
femme.
«
Et merde. Tellement un Foudre que s'en est caricatural. »
songe-t-elle,
sans que son visage ne perde un instant son expression neutre.
«
Ravie. » lance-t-elle enfin, après l'avoir examiné.
L'homme
est plus vieux qu'elle ne le pensait. Il doit avoir son âge. Un
Foudre aussi vieux est une chose rare. Il doit être doué. Il n'y a
plus qu'à espérer qu'il le soit plus que le précédent. Il a fini
dans le caniveau, abattu d'une balle dans l'épaule.
«
Enchanté... » répond l'homme. Il se lève enfin pour la saluer,
mais c'est pour lui saisir la main, et lui faire un baisemain en
guise de salut.
«
Connard, tu te fous de moi, hein? »
Sans
un mot, elle se tourne à nouveau vers le colonel, et attend la
suite.
«
Il me faut des escorteurs pour une délégation de Varsovie. Vous
vous y collez. Le tube arrive à seize heures à la porte Est. Vous
n'aurez pas à leur faire quitter les quartiers du souffle. »
Ne
voyant aucune question arriver, le colonel s'adossa à son fauteuil.
«
En revenant, repassez me voir. Vous pouvez disposer. »
Sans
attendre de mouvement de la part de son nouveau partenaire, Éloïse
tourne les talons et quitte la pièce. Même si elle sent Nicolas la
suivre précipitamment, elle ne se retourne ni ne ralentit.
«
Hé, Éloïse! »
Bien
obligée de s'arrêter, la jeune femme se retourna et le dévisagea
calmement. Elle se contente de hausser un sourcil pour toute
interrogation.
«
Pour ce soir... Faudrait se mettre d'accord... se concerter... » Il
ne semble pas déstabilisé le moins du monde et s'adresse
amicalement à elle. Elle hausse les épaules comme s'il avait été
vraiment stupide de lui poser cette question.
«
On se retrouve une demi-heure avant, à la porte. Je prends les
toits. »
C'était
la procédure habituelle. Elle n'attend même pas sa réponse pour
s'éloigner à grand pas. Quittant à nouveau les quartiers des
gradés, elle s'enfonce maintenant dans les sous-sols du bâtiment
des forces du Réseau.
Là,
les couloirs de brique grise semblaient prêts à s'effriter au
moindre frôlement mais la lumière dispensée par les vieilles
ampoules électriques était si puissante que sol, murs et plafond se
fondaient dans un même espace d'une luminosité fulgurante. En
continuant, on arrivait à des couloirs bien plus anciens. On
arrivait aux quartiers qui existaient déjà depuis des siècles
avant la guerre grise. La brique était rouge, et le plafond
s'incurvait en un doux arc, sous lequel la lumière tremblante des
torches n'arrivait pas à dissiper les ténèbres. C'était les
quartiers des Ombres. Là où n'allait qu'eux. Pour eux, c'était le
seul endroit où ils approchaient un semblant de paix. Il n'y avait
pas de portes. Les couloirs qui s'entremêlaient formaient de vastes
salles, au plafond haut à leurs croisements. Celles-ci avaient été
aménagées de façon anarchique, en fonction des générations de
soldats qui se sont succédés... Éloïse, avec ses trente ans
passés, est vieille, à l'aune des siens. Elle ne connaît pas les
salles les plus profondes, et ne se risque jamais là où les
ténèbres règnent encore. Elle porte encore avec elle toutes les
superstitions des premières générations des forces du Réseau.
Elle sait bien, elle, qu'elles ont une part de vérité.
Alors,
elle et tous les anciens comme elle, ne pénètrent pas dans les
ténèbres des profondeurs des cité-états. Parce que certains cris
résonnent toujours entre ces murs.
Alors
Éloïse ne s'enfonce pas dans les souterrains de Minsk. Elle reste
là où sont les vivants. Puis elle arrive à la deuxième arcade
principale et il y a Maria sur le ring. Maria la peau dorée et les
cheveux de lin, aussi ras que ceux d'Eloïse, le sourire facile.
Maria, qu'Éloïse connaît depuis l'époque de leur instruction.
L'époque où elles étaient les meilleures, loin devant tous les
autres. Mais quand même derrière Vania. On ne se battait pas contre
Vania. Il n'arpentait pas le Réseau, lui. Il vivait dans le Réseau
à chaque moment, demeurant là où Éloïse et tous les autres ne
faisait que de brèves incursions.
«
Je prends le gagnant » lance-t-elle aux deux combattants. Maria
prend le temps de lui sourire en allongeant encore un coup à son
adversaire. Bientôt celui-ci est à terre. La blonde se penche sur
les cordes du ring:
«
Alors Éloïse, tu viens enfin reconnaître ma supériorité?
-Je
viens te prouver la mienne! »
La
jeune femme enlève son uniforme. En boxer et brassière, pieds nus,
mains nues, elle monte au côté de son amie, qui se débarrasse de
ses gants. Ça a toujours été leur façon de s'affronter. Comme
suite à un accord tacite, dés qu'elles se retrouvent ensemble,
elles font tout à l'extrême. Parce qu'on mourra peut-être demain à
la guerre. Lorsqu'elles s'arrêtent enfin, ce n'est que par manque de
temps. L'arcade de Maria lui fait terriblement mal, et les côtes
d'Éloïse résonnent encore du dernier coup de la blonde, mais elles
ne sentaient rien avant d'arrêter. Le jeu était à leur hauteur,
pour une fois. Éloïse passe rapidement sous la douche, et bouche
grande ouverte, avale le flot à grandes goulées. Le corps tendu,
dressé, sous le jet d'eau qui la frappe alors qu'elle ressent encore
l'effort et la douleur, elle se sent bien. Mais lorsqu'elle ressort
et se rhabille, le poids de ce matin est de nouveau là. Et à
nouveau harnachée dans son uniforme, elle est redevenue le soldat
sombre du matin. Maria est encore assise sur le bord du ring.
Normalement les deux femmes aiment à rester là, et à sentir leurs
cœurs se calmer doucement, leurs muscles refroidir, mais
aujourd'hui, Éloïse a du sacrifier ce rituel. « Alors Éloïse,
pressée de revoir ton beau foudre? Lance-t-elle, goguenarde.
-Tu
l'as vu? Cet espèce de crétin vantard et vaniteux...
-Tu
connais un d'eux qui ne l'est pas? Et oui, je l'ai vu. T'aurais pu
tirer pire lot, franchement. Y a plus qu'à attendre une bonne petite
planque bien ennuyeuse....
-T'es
irrécupérable. »
Les
deux femmes rient.
«
Et sauf ça, tu sais quelque chose de lui? » demande toutefois la
jeune ombre.
Maria
est une mine d'informations. Elle aime les ragots, comme l'histoire
et les légendes. Elle aime ce que véhiculent les mots. Elle aurait
du être écrivaine, conteuse ou historienne. Mais il y a eu
l'enrôlement. Et après, plus de choix.
«
Je le connaissais pas, en tout cas. C'est même étonnant pour un
ancien. Il doit venir de l'extérieur. Peut-être même du front. Dis
toujours son nom.
-Nicolas.
»
Un
blanc. Son amie s'est immobilisée, bouteille d'eau à la main figée
dans son mouvement.
«
Tu le connais.
-Je
sais pas...Je connais un Nicolas. Et l'âge colle. Mais je le pensais
encore au front. Et qu'on ne l'en laisserait pas revenir s'il
survivait plus qu'un service.
-C'est
qui, ce mec?
-Le
dernier partenaire de Vania. »
Le
silence se propage dans la salle. Les autres anciens ont entendu le
nom prononcé et ont fait silence. Parce que ce nom laisse penser
qu'il y a encore quelque chose à trouver, à faire. Et quelque part,
cette phrase broie le cœur d'Éloïse.
«
Faut que j'y aille. »
Maria
hoche la tête et laisse la brune s'éloigner sans un mot.